Carte blanche à INfluencia : Public et privé, le binôme idéal pour la culture ?
La multiplication de fondations ou d’associations financées par des entreprises ou de riches collectionneurs offre à la culture une nouvelle fenêtre d’expression. Un modèle économique s’est installé, mais quid des musées publics ?
Après s’être tournés le dos pendant des décennies, ils ne peuvent aujourd’hui presque plus vivre l’un sans l’autre. Le Public et le Privé semblent s’être résolus à former un mariage de raison dans le domaine culturel. On ne compte plus désormais les expositions qui portent le nom d’une grande marque sur leurs affiches et plus personne ne semble choqué d’apprendre que la rénovation d’un musée ou l’achat d’une oeuvre ont été financés en partie par une multinationale. Les investissements privés sous toutes leurs formes ( sponsoring, mécénat, partenariat… ) sont devenus nécessaires au bon fonctionnement des institutions culturelles appartenant à l’Etat. La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, l’a confirmé elle-même l’an dernier dans une interview à Radio Classique, en déclarant que le mécénat était « indispensable à la création ».
Le ministère de la culture à la diète
Avec un budget qui a encore chuté de 4,3% en 2013 pour atteindre tout juste 2,54 milliards d’euros, la Rue de Valois ne parvient plus à remplir seule sa mission de soutien à l’ensemble des projets culturels et ses experts doivent faire des choix draconiens pour désigner les bénéficiaires de ses subventions. Ainsi, l’héritière de Jack Lang a signé l’arrêt de mort des projets d’ouverture de la Maison de l’histoire de France et du musée de la photographie à Paris. La construction du Centre des réserves et de restauration de Cergy, qui devait abriter les oeuvres des musées parisiens menacées par la montée des eaux de la Seine, a, elle aussi été repoussée aux calendes grecques, tout comme le Centre National de la Musique. Le projet Lascaux 4, qui doit être une réplique exacte de la grotte préhistorique, pourra, lui, voir le jour si ses promoteurs parviennent à boucler leur budget de 50 millions d’euros sans obtenir un seul centime des pouvoirs publics. La future résidence d’artistes à Clichy-Montfermeil imaginée par Frédéric Mitterrand doit, quant à elle, être « repensée ».
Les grandes « institutions » que sont le Louvre, l’Opéra de Paris, le musée d’Orsay, le musée du Quai Branly ainsi que le Centre des Monuments Nationaux font presque figure de « chanceux » avec des budgets annuels en… baisse de 2,5% en moyenne. Les monuments historiques ont en effet enregistré une baisse pour le moins drastique de 14,4% de leurs crédits. Les pouvoirs publics ne leur verseront ainsi pas plus de 322 millions d’euros en 2013, alors que les experts estiment que leurs besoins atteignent au moins 400 millions d’euros pour maintenir leur patrimoine dans un été convenable. On comprend mieux le soutien indéfectible d’Aurélie Filippetti en faveur du mécénat…
Un régime fiscal sans égal
La ministre est ainsi parvenue à sauver pour une année encore les avantages fiscaux dont peuvent bénéficier les « généreux donateurs » dans le domaine culturel. Votée il y a tout juste une décennie, la loi Aillagon a mis en place une réduction fiscale pour les sociétés mécènes et un relèvement du taux et du plafond de la réduction d’impôt applicable aux donateurs particuliers qui sont respectivement passés de 50 à 60% et de 15 000 euros à 50 000 euros. « Une entreprise qui fait du mécénat culturel d’intérêt général peut déduire 60% de ses dons de l’impôt société, dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires hors-taxes, explique Stéphane Couchoux, un avocat spécialisé du cabinet Fidal. Un patron qui, à titre personnel, fait un don à une fondation culturelle peut défalquer 66% de cette somme de son revenu imposable, jusqu’à 20% de celui-ci, ou réduire son ISF de 75%, avec un plafond de 50 000 euros. Enfin, quand une société acquiert des œuvres d’artistes vivants, si amortir fiscalement cet investissement sur cette même durée, toujours dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires hors taxes. » Un investissement de 1 million d’euros dans l’art contemporain permet ainsi de déduire pendant cinq ans 200 000 euros de son résultat fiscal tout en devenant propriétaire d’une pièce dont la valorisation peut augmenter au fil du temps si l’acheteur a « du nez ». Ce régime fiscal, qui est sans aucun doute le plus généreux au monde, a séduit de nombreuses entreprises.
Mieux qu’en 2010 mais pire qu’en 2008
Près d’un tiers des sociétés françaises, soit environ 40 000 compagnies, se sont engagées dans le mécénat en 2012 contre 35 000 deux ans plus tôt, selon l’Admical, une association qui se définit comme le « carrefour du mécénat d’entreprise ». Près du tiers ( 26% ) des budgets débloqués par ces donateurs sont consacrés à des projets culturels. Cette enveloppe représentait l’an dernier un montant global de 494 millions d’euros contre à peine 380 millions en 2010. Ce chiffre en forte hausse doit toutefois être relativisé quand on le compare aux…975 millions enregistrés en 2008. Les mécènes, s’ils n’ont pas disparus, se montrent en effet bien moins généreux et plus exigeants que par le passé. La crise est passée par là…
Les princes saoudiens se font rares…
Si certains musées comme le Louvre ont encore la chance de voir un prince saoudien leur verser un chèque de 17 millions d’euros pour financer la construction d’un département des arts islamiques, la plupart des établissements doivent réaliser de réelles prouesses pour boucler leurs budgets. Fini le temps où Vinci offrait 12 millions d’euros au Château de Versailles pour rénover sa prestigieuse Galerie des Glaces… Terminée l’époque où Carmignac Gestion payait, rubis sur l’ongle, 370 000 euros au Musée d’art moderne de la ville de Paris pour son exposition Basquiat… Les conservateurs se rappellent également, la larme à l’œil, l’exposition « Picasso et les maîtres » du Grand Palais qui avait été financée à hauteur de 500 000 euros par LVMH. « Aujourd’hui, l’engagement maximal est de 100 000 à 200 000 euros », rappelait dans Le Monde Jean-Paul Cluzel, le président du Grand Palais. Les musées publics et les organisateurs d’événements culturels souffrent également de la concurrence accrue des fondations privées mises en place par les entreprises ou de -très riches – particuliers.
Les fondations se multiplient comme des petits pains
La Fondation Maeght a longtemps fait figure « d’ovni » dans le paysage culturel français. Fondé en 1964 par le galeriste Aimé Maeght et sa femme Marguerite, qui étaient des amis de Braque, Miro, Matisse, Léger, Chagall et Giacometti, ce musée privé situé à Saint-Paul-de-Vence – près de Nice – abrite aujourd’hui une des plus importantes collections européennes d’oeuvres du XXe siècle. Tout au long de l’année, près de 200 000 visiteurs viennent admirer quelques-unes des 4000 pièces léguées par le couple de collectionneurs. Pour boucler son budget annuel de 2,7 millions d’euros, qui finance notamment les salaires d’une vingtaine de personnes, la fondation doit trouver ses propres le droit d’entrée aux touristes et en organisant des expositions à l’étranger. Créée en 1984 par Alain Dominique Perrin qui dirigeait alors la société, la Fondation Cartier (cf page 148) qui s’est installée à Paris dix ans plus tard est devenue, elle aussi, un « lieu de pèlerinage » pour les amateurs d’art contemporain.
D’autres entreprises ont plus récemment suivi ses pas en ouvrant leurs propres lieux dédiés à la culture. La Fondation Ricard présente chaque année les œuvres d’environ 70 artistes dans son espace spécialisé en art moderne. La famille Leclerc a, pour sa part, ouvert dans le berceau familial breton de Landerneau un centre d’art qui connaît un succès grandissant. Ses trois premières expositions consacrées à Gérard Fromanger, Yann Kersalé et Miro ont ainsi attiré respectivement 25 000, 38 000 et 60 000 visiteurs. Pas mal pour une commune de 16 000 habitants… Le grand public ne semble en effet pas s’offusquer de voir des expositions ou des musées financés par des entreprises ou des mécènes particuliers. La Fondation Regards de Provence – Reflets de Méditerranée, créée en 1997 par un couple de collectionneurs marseillais, rencontre ainsi, elle aussi, un franc succès.
Les files d’attente promettent également d’être longues à l’entrée du superbe édifice dessiné par Frank Gehry qui accueillera à l’automne 2014 la Fondation Louis-Vuitton dans le bois de Boulogne. L’année suivante, la fondation Carmignac ouvrira sur l’île méditerranéenne de Porquerolles une galerie qui se veut être « un lieu de convergence entre les courants singuliers de la création contemporaine française et étrangère ». Rien de moins…
Les Galeries Lafayette vont, pour leur part, installer dans un ancien bâtiment de 2500m2 des BHV dans le Marais, une fondation d’art (cf page 150). Et que dire de Maja Hoffmann, qui appartient à la famille fondatrice des laboratoires pharmaceutiques Hoffmann-La Roche, qui a prévu d’engloutir… 100 millions d’euros dans son « Parc des Ateliers » ? Basée à Arles dans d’anciens ateliers de la SNCF transformés par Frank Gehry ( encore lui… ), cette fondation souhaite créer « un lieu de production d’expositions, d’ateliers de réflexion, de transmission du savoir selon un système de résidences pour des artistes et des penseurs, avec des expositions, des productions, des résidences, de la recherche ». Le grand public n’a jamais eu autant de lieux pour enrichir sa soif de culture mais l’Etat ne joue pas un très grand rôle dans ce phénomène…
Frédéric Thérin
A retrouver dans INfluencia n° Octobre/décembre 2013, La culture : une invitée de(s)s marque(s)
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