Mécénat d’entreprise, l’éthique de l’échange
Si la crise économique a fait baisser le nombre d’entreprises françaises mécènes, œuvrer dans le sens de l’intérêt général continue à séduire 159 000 structures, allant de l’ETI de plus de 250 salariés à la TPE d’un salarié. Contribuer à l’intérêt général, valoriser l’image et la réputation de l’entreprise, développer un réseau de proximité et mobiliser, en les impliquant, les collaborateurs… Les objectifs poursuivis par le mécénat d’entreprise sont nombreux. Et cette véritable politique de l’échange rime avec de nombreux bénéfices, tant pour les mécènes que pour les heureux bénéficiaires.
En France, d’après les derniers chiffres de l’Admical, le taux de mécénat pour les entreprises de 20 salariés et plus est, en 2014, de 21 %, pour un budget global de quelque 1,8 milliard d’euros. Au global, en moyenne, 12 % des entreprises françaises à partir d’un seul et unique salarié sont engagées dans le mécénat, soit environ 159 000 entités, pour un budget atteignant cette fois 2,8 milliards d’euros. Or, si devenir mécène offre aux entreprises la possibilité de déduire de leur impôt sur les sociétés 60 % du montant de leurs dons – dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires –, force est de constater que les motivations vont bien au-delà de la seule considération financière. “Au point que la plupart des PME que je rencontre dans le cadre du mécénat ne connaissent même pas cette loi sur la défiscalisation”, constate Pascale Humbert, responsable mécénat et grands donateurs pour la fondation Visio. Et pour cause : seules 45 % des entreprises mécènes l’utilisent. Et plus l’entreprise est petite, moins elle a recours à la réduction fiscale.
À l’opposé d’une philosophie capitalistique, le mécénat d’entreprise s’inscrit avant tout dans une démarche de soutien. “Le mécénat n’est pas une niche fiscale ! Il ne s’agit pas uniquement de distribuer de l’argent à des associations. Il sert surtout à venir en aide à certaines structures publiques, souvent localement proches des entreprises mécènes”, explique Bénédicte Ménanteau, secrétaire générale de l’Admical. C’est sans doute pour cette raison que 78 % des mécènes interviennent aujourd’hui au niveau local, dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la solidarité (qui recueille à elle seule près de 60 % des financements) notamment. Mais quels sont, réellement, les objectifs de ces entreprises philanthropes ?
Générosité désintéressé
Le mécénat serait-il une forme alternative de sponsoring ? “Non, insiste Bénédicte Ménanteau. Le mécénat ne se situe pas dans une activité marchande, mais plutôt sur un état d’esprit. Une entreprise mécène accompagne une structure qui la renvoie à son histoire, à ses valeurs, à ce qui fait son identité.” Ainsi, lorsque l’entreprise L’Oréal, dont le cœur de métier est de rendre les femmes plus belles, fait du mécénat, sa fondation “développe des actions qui aident, par l’apparence, des personnes atteintes dans leur intégrité physique, psychique ou sociale, à se reconstruire”. Lorsqu’un Orange, roi de la communication, devient mécène, il œuvre dans le soutien à l’autisme et à la musique vocale. Bref, des actions d’accompagnement qui participent de l’éthique et de la crédibilité des marques, certes, mais qui n’imposent aucun retour sur image, contrairement, justement, au sponsoring. Ce dernier désignant un soutien financier – ou matériel – apporté à un événement par un partenaire annonceur, en échange de différentes formes de visibilité sur ledit événement. “En l’occurrence, rien n’oblige une entreprise à devenir mécène. En termes d’image, si cela se révèle effectivement très positif pour l’entreprise, ce n’est pas l’objectif recherché. D’ailleurs, la communication réalisée sur une action de mécénat est plus souvent interne qu’externe. Ce n’est pas de l’affichage, c’est juste une signature discrète”, précise Bénédicte Ménanteau.
On l’aura compris, le mécénat d’entreprise est donc un engagement libre, qui doit s’inscrire, autant que possible, dans la durée, et qui ne doit pas être motivé par une recherche d’impact direct sur les activités marchandes du mécène. Une politique éthique de l’échange, en somme, qu’aucune considération financière ne saurait venir souiller.
Fonction RH
Si même la valorisation de l’image de l’entreprise et sa réputation ne sont pas les principaux objectifs suivis par le mécénat, qu’est-ce qui peut bien pousser certaines entreprises à contribuer à l’intérêt général ? La réponse est simple : donner du sens à leur implication dans la société. D’ailleurs, la Charte du mécénat d’entreprise, rédigée par l’Admical, tient en trois points essentiels : engagement, vision partagée et respect mutuel. Et parce que la crise a frappé fort, de plus en plus d’entreprises ont en effet à cœur de s’interroger sur leur position et sur le rôle qu’elles ont envie de jouer dans la société civile. Or, le mécénat présente la particularité d’éclairer l’entreprise sur sa façon d’y prendre sa place. Mais aussi, et surtout, d’entraîner leurs collaborateurs dans l’aventure.
Le mécénat d’entreprise dit “de compétences” a, en effet, de plus en plus de vent en poupe. Si, d’après l’Admical, le mécénat de compétences ne représente aujourd’hui que 15 % des entreprises mécènes (81 % pour le mécénat financier), soit près de 24 000 entreprises, nombreuses sont les jeunes recrues qui demandent aujourd’hui à s’impliquer dans une démarche de mécénat auprès de leur entreprise. L’idée : mobiliser les salariés pour le bien public. De fait, d’après la première enquête nationale réalisée conjointement par Pro Bono Lab et Admical, intitulée Mécénat de compétences : comment engager les actifs ?, parue en septembre 2014 : “Parmi les entreprises répondantes qui pratiquent le mécénat de compétences, la moitié l’ont mis en place au cours des 3 dernières années, et 1/4 dans les 12 derniers mois”.
Une démarche valorisante qui consiste à offrir son savoir-faire aux bénéficiaires. Depuis plusieurs années déjà, le groupe de communication Altavia pratique le mécénat de compétences dans les domaines de la solidarité, de l’entreprenariat et de la culture. “Notre organisation en business units nous permet de nous impliquer localement auprès de fondations et d’associations. Quelle que soit la ville, nous avons mis en place des mécénats de compétences parce que nous souhaitons que nos engagements impliquent nos collaborateurs qui, de fait, donnent de leur temps et de leur savoir-faire. C’est un type de mécénat très vertueux”, explique Laura Sevenier, directrice de la communication d’Altavia. Il s’agit de ne pas se contenter de faire un chèque, mais d’accompagner, sur le long terme, les structures qui en ont besoin. Ainsi, lorsque Altavia soutien Planète Finance, ONG promouvant le microcrédit, ce sont ses collaborateurs qui créent la plaquette annuelle, ou encore qui organisent les Awards internationaux de la Finance.
Lorsqu’une décision de mécénat n’implique que le dirigeant dans l’entreprise, elle peut être mal perçue en interne, être vécue comme un caprice de manager, coûteux et inutile. Si les salariés participent concrètement à l’aventure, ils comprennent plus facilement le sens de l’engagement de leur entreprise, mais ils en deviennent, en plus, les ambassadeurs, des forces vives dotées d’un savoir-faire utile aux autres. Bref, ils s’en trouvent valorisés. “Notre objectif, finalement, c’est de faire vivre notre culture d’entreprise et notre savoir-être, de valoriser nos équipes au travers de nos actions de mécénat, sans que nous fassions ces démarches juste pour faire joli !”, insiste Laura Sevenier.
Fondation d’entreprise, un cadre solide
Autre manière de mobiliser ses collaborateurs : la fondation d’entreprise. Cette dernière offre un cadre et un outil dédié au mécénat d’entreprise, nécessitant un dépôt de statuts, un rapport annuel des comptes ainsi qu’un investissement minimum fixé à 150 000 euros sur 5 ans. Une véritable petite entreprise, en somme, à ceci près qu’une fondation œuvre uniquement dans le sens de l’intérêt général. Pour Suzanne Gorge, responsable vie et développement de l’association au sein du Centre français des fonds et fondations, “la fondation est avant tout un outil permettant de structurer ses actions de mécénat. Mais une fondation d’entreprise ne peut pas faire appel à la générosité du public, à l’exception des dons des salariés de l’entreprise fondatrice.
Or, de plus en plus de fondations soutiennent des projets qui sont directement apportés par les salariés. Cela leur permet d’avoir une autre vision de leur entreprise, de les impliquer, et de se découvrir aussi dans un rôle différent de celui qui leur est dévolu dans le cadre de leur travail”. D’autant que si la fondation en tant qu’entité dispose de la même réduction d’impôt que le mécénat d’entreprise, les salariés, eux aussi, profitent d’une défiscalisation sur leurs impôts sur le revenu, de l’ordre de 66 % du montant de leurs dons. Pascale Humbert le constate au quotidien au sein de la fondation Visio : “la plupart des entreprises qui sont nos mécènes impulsent une dynamique importante en interne, et cela me semble fondamental. Les entreprises associent réellement leurs salariés à leurs projets de mécénats. Et de plus en plus, l’objectif recherché par les chefs d’entreprise mécène est de motiver leurs équipes en interne, avant de valoriser leur image en externe”. Dès lors “70 % des fondations impliquent leurs collaborateurs”, souligne Suzanne Gorge.
Une implication sur le long terme, quasiment un engagement de cœur, d’autant plus palpable que Visio, fondation d’utilité publique, est la seule en France à lutter contre la malvoyance et les maladies cécitantes en soutenant trois domaines : l’ophtalmologie et la neuro-ophtalmologie, la recherche vétérinaire autour du chien guide d’aveugle, et enfin, la recherche dans les technologies compensatrices d’aide au déplacement.
La culture du réseau local
Aide, accompagnement, engagement, implication… Le verbatim lié au mécénat d’entreprise est, c’est un fait, chargé de sens. Or, si ledit mécénat a mis plus de 20 ans à convaincre de son bien-fondé auprès des entreprises françaises, force est de constater qu’aujourd’hui, malgré la crise, il n’est plus seulement réservé aux seules ETI et grandes entreprises. Ainsi, d’après le récent baromètre de l’Admical, les TPE (de 1 à 9 salariés), représentent environ 125 610 entreprises mécènes sur les 159 000 que compte la France. À l’image du tissu économique français, les entreprises de moins de 20 salariés sont donc majoritaires parmi les entreprises mécènes. Quant aux entreprises de moins de 10 salariés, leur engagement moyen représente une enveloppe d’environ 5 573 euros. Certes, face à la crise, leur avenir en tant que mécène est plus qu’incertain.
Pourtant, les TPE et PME continuent à œuvrer au niveau local. Pourquoi ? Pour améliorer l’image de l’entreprise et incarner ses valeurs, bien sûr, mais aussi, bien souvent, pour entretenir les bonnes relations avec les acteurs de leur territoire. De fait, les PME soutiennent plus les structures privées (85 %) mais beaucoup moins les structures publiques (17 %). Et la tendance est la même du côté des TPE : 79 % font du mécénat à destination de structures privées et seulement 11 % à destination de structures publiques. En réalité, l’objectif de ces PME et TPE mécènes colle parfaitement à la charte du mécénat : “En apportant son réseau et sa coordination, ou en étant force de proposition pour faire travailler ensemble des acteurs qui s’ignoraient ou ne se connaissaient pas, l’entreprise peut créer des rapprochements et des synergies, sources de collaborations inédites et facteurs de progrès pour les causes soutenues. Le mécénat peut également ouvrir une porte sur de nouvelles collaborations avec l’entreprise mécène”.
En d’autres termes, en soutenant le tissu économique local privé, l’entreprise développe son réseau et peut ainsi espérer, dans le même temps, soulever de nouvelles opportunités de business. Philanthropes, oui, mais pas complètement dénué d’intérêt.
Article de Pierre-Jean Leca
Stéphane Rozès
Président de Cap, enseignant à Sciences Po et HEC
La crise économique a eu un véritable impact sur le mécénat. Les consommateurs sont désormais plus attentifs à la façon dont les entreprises concourent au développement des territoires dans lesquels ils se trouvent. Du coup, la crise a entraîné un double mécanisme. D’un côté, les sommes allouées au mécénat sont moins importantes, mais d’un autre côté, les PME qui y ont recours sont plus nombreuses. Nous assistons donc à une généralisation du mécénat qui n’est plus seulement réservé aux grandes entreprises.Quels sont les bénéfices pour le mécène ?
Les bénéfices sont nombreux. Pour les mécènes, cela permet de donner une image positive de leur entreprise. Les consommateurs ne croient plus aux communications d’entreprise du type green washing. Or, le mécénat donne une image éthique et responsable aux entreprises sans qu’elles aient besoin de communiquer sur le sujet. Cela rend leur implication plus crédible. D’autre part, le mécénat de compétences permet de renforcer le sentiment de fierté et d’appartenance des collaborateurs de l’entreprise. Or, l’excellence d’une entreprise c’est son identité et son organisation capitalistique, et le mécénat de compétences concourt à cela.
Dans quels domaines le mécénat va-t-il évoluer ?
Il est protéiforme. Aujourd’hui, il couvre essentiellement les secteurs sportifs, les associations, l’éducation et le domaine culturel. La première réaction des entreprises a été d’alléger les dépenses en termes de mécénat culturel. C’est une erreur car, en dépit de la crise, la consommation culturelle continue à se développer. Il y a donc un hiatus entre la baisse du mécénat culturel et le fait que la crise a irrémédiablement amené les gens vers le culturel. La crise a une autre incidence : le mécénat social est de plus en plus appliqué par les entreprises. Ce sont deux domaines d’avenir en termes de mécénat d’entreprise.
Source
http://www.lenouveleconomiste.fr/dossier-art-de-vivre/mecenat-dentreprise-lethique-de-lechange-25072/
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